Honnêtement, je me trouve bien démunie devant les déclarations officielles des évêques de France ou du Vatican suite au décès de Vincent Lambert. En quel nom parlent-ils ? Au nom de l’Eglise catholique? Au nom de Dieu Lui-même ?Dans ce cas, pourquoi moi qui suis catholique de par mon baptême, et surtout par ma foi au Christ, je ne me retrouve aucunement dans ces déclarations ??? Peut-être ne suis-je plus catholique… peut-être que le Dieu auquel je crois n’est pas le Dieu catholique…Qu’est-ce qui nous rend catholiques et nous rassemble finalement ??? C’est une question que je me pose de plus en plus depuis « La manif pour tous » dans laquelle je ne me reconnaissais pas là non plus ; depuis le synode sur la famille où me semble avoir si peu évolué la question de l’accès au sacrement pour les personnes divorcées remariées ou homosexuelles pratiquantes, voire pacsées ou mariées civilement… Alors les réactions ecclésiales officielles au sujet de la prise en charge de Vincent Lambert, ainsi que celles de nombre de mes amis catholiques (que j’estime par ailleurs), me rend de plus en plus perplexe et hésitante sur mon appartenance au catholicisme. Ces dernières heures, alors que je ressentais le besoin de m’exprimer moi aussi, ces versets de l’évangile et de la bible me sont montés au cœur : « Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. « Comment vas-tu dire à ton frère : “Laisse-moi enlever la paille de ton œil”, alors qu’il y a une poutre dans ton œil à toi ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. »« Tu ne tueras point » « tu ne commettras pas d’adultère » « tu honoreras ton père et ta mère »« j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire » Tous ces versets me semblent en lien avec cette affaire et avec nos réactions aux uns et aux autres. Comment exprimer mon désaccord avec certains de mes frères et sœurs catholiques, ou avec certains de mes confrères médecins qui se sont exprimés sur le sujet, sans les juger ni les condamner ???J’avoue que mon premier réflexe est de monter au créneau et d’essayer de démolir point par point ce qui me paraît mal construit voire injuste à mes yeux. De leur renvoyer que je trouve leurs propos jugeants pour la société, pour moi, paroles sans compréhension ni miséricorde pour un point de vue différent, et mots ou expressions profondément injustes, car à la base, Vincent Lambert est malgré tout mort, en immense partie du fait de son accident de moto, auquel il n’aurait pas survécu autant d’années sans une technicité médicale extrêmement élaborée. Et pour autre partie, il est aussi mort parce ce que c’est le lot de chaque être humain et qu’aucun de nous est éternel. Bien sûr, en sus de ces deux raisons, il est mort ce 11 juillet 2019, parce ce que des équipes soignantes ont décidées en accord avec la majeure partie de ses proches et de sa tutrice légale, de ne plus s’acharner à le maintenir en vie, en arrêtant l’alimentation parentérale et les perfusions. Ce qui je vous l’accorde, ne pouvait qu’aboutir à son décès et l’accélérer. Doit-on pourtant accuser ces soignants de l’avoir tué, ou de l’avoir considéré comme un déchet, de ne pas l’avoir respecté dans sa dignité d’être humain ? Ces mots sont horribles et violents je trouve…. Malgré tout il aurait aussi pu mourrir le 29 septembre 2008, jour de son accident. Comment savoir si ce n’était pas là la volonté de Dieu, que l’homme a contré en le réanimant ? Qui peut prétendre savoir ? Qui a tort, qui a raison dans cette histoire ? Qui sait où est la vérité des choses? Bien difficile à affirmer, pour moi en tout cas. Évidemment ma balance penche du côté de la décision prise par l’équipe médicale de Reims (et reconnue conforme au droit français en vigueur par la justice française), même si personnellement, en tant qu’être humain et que médecin, une partie de moi aurait souhaité qu’il puisse être suivi un temps dans un autre type de service pour voir ce qui serait arrivé et qu’elles auraient été les conclusions des équipes soignantes après l’avoir côtoyé suffisamment longtemps, pour de vrai, en étant dans un contact réel avec lui, et non en basant leur diagnostic sur les dires de personnes partisanes, ni sur des photos ou des vidéos.
Pour autant suis-je une tueuse et une criminelle d’avoir pensé que le laisser mourir était la meilleure attitude, la plus juste décision? Même si en réalité ni la vie ni la mort de cet homme ne m’appartiennent, et que je ne peux qu’accueillir ce qui est… Croyez-vous réellement que je me réjouisse de la mort de cet homme ? Croyez-vous réellement que je le considérais comme un déchet humain, un homme inutile à la société, indigne de vivre, indigne de soins ?Quelle tristesse de lire toutes ces choses…Je respecte profondément chaque être humain et chaque vie, et personne ne mérite la mort….tout le monde mérite la vie, le respect et le soin, l’attention et la considération. Même les pires criminels selon moi, car toute vie est sacrée et digne. Et personne ne peut être réduit à ses actes, si horribles et ignobles soient-ils. Personne…La mort est injuste et révoltante, incompréhensible, et pourtant elle fait partie de toute vie humaine. Je peux vouloir combattre la mort toute ma vie et défendre la vie coûte que coûte, la mort finira quand même par me rattraper et par rattraper mes proches, ainsi que l’humanité toute entière.Que signifie vivre alors ? Que signifie défendre la vie de sa conception jusqu’à sa mort « naturelle ».C’est étonnant comme l’Eglise se bat pour tout ce qui est non naturel lors de la conception (FIV, PMA) mais défend la survie par tous les moyens techniques et imaginables. Que veut dire mort naturelle quand on est sous respirateur ? Quand on est maintenu en vie par une alimentation et une hydratation non naturelles ?Je n’ai pas les réponses à toutes ces questions, à toutes ces contradictions, car chaque cas est différent, mais je suis triste que les hautes autorités ecclésiales les occultent et prennent une position tranchée dans laquelle je suis incapable de me retrouver.Tant de questions me montent au coeur et aux lèvres ?…Pourquoi une telle « douleur » ressentie par le Vatican pour la mort de Vincent Lambert et une telle indignation pour un seul homme, quand des milliers meurent dans la rue chaque année, par manque de soins et par privation d’eau et de nourriture…des milliers qui ne sont pas forcément des migrants sans papiers, et que nous croisons souvent aux portes des églises ou sur les places de villages ou de marchés, et auxquels nous ne prêtons plus attention, à qui nous refusons l’aumône de peur qu’ils utilisent cet argent pour boire ou se droguer…J’ai du mal à comprendre comment une seule personne déclenche une telle révolte et des paroles si dures, quand ces paroles pourraient être répétées chaque jour pour des milliers d’hommes et de femmes qu’on prive sciemment de soins, de nourriture et d’eau dans le monde entier… Qui prend leur défense, qui dépense des millions pour les maintenir en vie et éviter qu’ils meurent ?Et puisque qu’on parle de boire et manger, de cette nourriture indispensable à la vie, comment comprendre que des hommes d’Eglise défendent bec et ongles ce droit de tout être humain à la dignité d’être nourri et abreuvé, tandis que ces mêmes hommes refusent à des milliers voire des millions, le droit de la nourriture au Corps et au Sang du Christ, nourriture hautement indispensable à toute foi, à tous nos sens humains, et sans laquelle le goût de vie du quotidien n’est plus le même.Comment proclamer d’un côté la dignité de toute vie humaine, même celle des plus fragiles (personnes polyhandicapées, personnes trisomiques) et demander pour elles le droit à la vie, le droit au boire et au manger, quel que soit leur état ; tandis que de l’autre côté, vivre en concubinage, être divorcé-remarié ou homosexuel pratiquant sa sexualité, rend indigne des sacrements…Sacrements qui ne sont pas autre chose que la nourriture de base que Jésus-Christ a laissé pour ceux qui croient en Lui, afin de se donner de manière concrète et sensible à leur chair, pour les fortifier et les guérir.« Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades » Il n’y a besoin de rien pour être aimé de Dieu, et il suffit de croire pour être sauvé. Nulle loi ne sauve ni ne garantit la perfection ou la sincérité du coeur…
Je ne sais plus comment me situer au sein de cette Église catholique dont les dirigeants et les représentants prennent la parole au nom de tous et toutes, comme si nous avions une pensée unique sur tout un tas de sujets qui ne sont pourtant pas à la base du commun de notre foi, ancrée d’abord en la personne de Jésus-Christ, dans sa mort et sa résurrection qui offrent au monde le Salut, et dans l’amour miséricordieux pour toute l’humanité d’un Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, qui donne et qui reçoit, sans aucune autre condition que l’amour qu’il porte à chacun et chacune en particulier. Tout le reste est basé sur des interprétations, des traditions fonction des époques et des politiques, mondiales et religieuses. Et donc fondé d’abord sur l’humain, qui rappelons-le est limité, faillible, et mortel sur cette terre….
Tout passe, Dieu demeure…
Je ne peux me permettre de vous juger, ni de vous critiquer vous qui pensez différemment de moi. Je crois profondément que vous faites au mieux. Et je sais que je ne détiens pas la vérité, ni sur la vie, ni sur l’Eglise. Mais la manière dont vous agissez et dont vous parlez, vous papes, évêques et certains catholiques, me heurte et me fait sentir étrangère à l’Eglise, non accueillie et non aimée dans ma différence et ma fragilité, non reconnue comme baptisée à part entière, ni comme être humain pensant et libre.
Elisabeth Cécile
